24 années sont passées… Un long chemin de rencontres, d’instants de vies partagés, de développement de programmes, de concepts pédagogiques novateurs et créatifs pour soutenir nos jeunes des Philippines et de France ayant traversé à un trop jeune âge abus et violences.
Et pourtant, ce matin, après ces 24 ans de mission, me voici assise dans une pièce à peine balayée du barangay, sorte de mairie de quartier, où fourmillent ces interminables colonies d’insectes prêtes à squatter sur nos habits religieux, et je me retrouve avec Jaym et Jhayv à épeler L.U.M.P.I.A = lumpia (nom des « nems » philippins). Avec eux, je décrypte chaque lettre et les aide à comprendre comment associer les sons aux lettres. Tous deux âgés de 15 et 16 ans, ils ne savent ni lire ni écrire. Très vite exposés à une situation familiale difficile, absence de parents emprisonnés, ils ont appris à survivre par eux-mêmes, de vols et de délinquance. La survie ne peut se faire au singulier alors nous découvrons avec stupéfaction qu’ils sont 58 dans ce gang de quartier. 58 enfants errant dans les environs et à revenir régulièrement dans les bureaux du commissariat ou du barangay (chef de quartier), selon leur âge et les délits commis.
La pandémie ayant rendu nos visites dans les centres impossibles, nous nous sommes adaptés au nouveau contexte en nous mettant à l’écoute des besoins accessibles. Lorsqu’une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre… alors nous avons saisi cette chance de partager notre programme de formation auprès de jeunes du quartier dans le cadre d’alternatives à l’emprisonnement. Les besoins sont tels ! Il y a tant de jeunes à soutenir… tant de situations invraisemblables. Le personnel gouvernemental local nous a accueillis avec gratitude et bienveillance car ils ne savent plus comment enrayer cette incessante délinquance.
Dès le premier contact, l’équipe a dû s’adapter. Les formations sur la gestion des émotions et de la colère devaient attendre, de même que les préparations à un quelconque entretien d’embauche car ce qui nous attendait c’est, pour certains d’entre eux, de savoir lire « mami, lumpia, lugaw », pour d’autres de savoir additionner, soustraire, diviser et de savoir, à leur demande, parler un anglais basique. Alors, pendant que ceux qui ont eu la chance de quelques années d’études allaient de l’avant avec notre équipe, je me suis assise avec mes deux jeunes.
Voir Jhaym brandir son crayon avec maladresse et fierté, s’acharner à reconnaitre la lettre « T » dans un mot, tirer une gloire de reconnaître quelques lettres ! Sa motivation n’était que du bonheur. Encourager, donner confiance, relever… Notre vocation. Après huit mois d’accompagnement de ces jeunes, le « maire de quartier » nous a dit que la délinquance liée à ce groupe avait diminué. Les jeunes ont décidé de changer !
Ne pas regarder les années perdues à errer… mais se fixer sur la vie à gagner pour l’avenir. Ne pas regarder le vertigineux retard… oser avancer, pas après pas, apprenant à extraire l’essence de chaque petite victoire et développer avec courage son bagage d’intelligence de vie fait de constants acquis et de nouvelles découvertes.
Cette dynamique d’apprentissage et de remise en question en permanence nous permet d’être créatifs et novateurs, que cela soit aux Philippines ou en France. Cette année, la participation de l’équipe d’ACAY Marseille dans un programme d’accompagnement dédié aux projets en lien avec la justice à l’échelle nationale nous a permis de constater que nous étions également des pionniers dans le contexte français. Il y a aujourd’hui, à notre connaissance, aucun autre acteur associatif qui assure une continuité du suivi des mineurs incarcérés en prison et à la sortie de détention, dans une approche globale.
Votre implication et soutien à nos côtés est une véritable source de créativité et d’inspiration. Pour cela, nous vous en sommes profondément reconnaissants !