L’ÉDITORIAL DE SOEUR SOPHIE

Notre monde change et nous soumet à ce rude apprentissage de savoir naviguer dans le chaos. La pandémie nous y plonge. Malmenés par des discours dissonants, sous des déferlantes de nouvelles anxiogènes, immergés dans des tensions constantes, nous sommes bien en plein chaos.

Jamais je n’aurais imaginé un instant que cette traversée missionnaire de 22 ans sur les hautes mers des détresses de nos sociétés nous eût préparées finalement à savoir mener notre barque dans ce face à face avec cette pandémie et l’affronter avec plus d’aisance.

Comme je le raconte dans mon livre « Défier le chaos », je suis sortie de la peur le jour où un marin m’a appris cette leçon inoubliable :

« Sophie, face à une mer déchaînée, ne te base jamais sur ce que tu ressens en mer (il faut préciser que je me recroquevillais à chaque vague !!) mais mets-toi sur l’avant du bateau et avise, regarde et évalue le degré du danger ». Ce jour-là, je me suis relevée et suis allée à ses côtés face aux vagues impressionnantes de cette mer calédonienne en plein temps orageux. A ses côtés et dans ce face à face avec le déferlement des vagues, j’ai perdu la peur de l’insécurité… en mer et dans les airs. Et sur terre, face à toute difficulté, j’ai appris à « faire face ».

Cette expérience de « faire face » a, par la suite, modelé des générations de nos jeunes à ACAY. Ils ont été immergés dans la vérité de ce proverbe « Là où est tapi le dragon, c’est là qu’est le trésor ». Leurs dragons, expériences traumatiques ou situations extérieures inextricables ont pu devenir, accompagnement aidant et dans le temps, source de transformation voire d’une mission.

Ce face à face nous a appris à ne plus regarder en arrière mais en avant, dans ce qui est « à venir » et cette embarquée a été l’occasion, pour tous les jeunes ou autres ayant cheminé avec ACAY et qui, il faut le dire, étaient ouverts à cette expérience, d’une métamorphose… d’abord intérieure. Derrière tout ce bruit un « à venir » est en train de naître.

Pour ceux qui ont la foi, quand la dimension humaine devient limitée alors basculons dans la dimension spirituelle. Elle qui est enracinée dans l’Alpha et l’Oméga, dans l’infini et l’éternel, nous offre l’immensité de la puissance de l’espérance. Que ces incapacités, loin de nous restreindre, nous ouvrent de nouveaux horizons.

Bloquée aux Philippines encore pour un temps incertain, je ne cesse de veiller à ce que nous ne nous laissions pas aveugler par l’ampleur et le poids de tristesse, de frustration ou de colère de ce « dragon » actuel. Notre Sister Rachel accueillie au sein de l’équipe d’ACAY à Marseille nous manque désespérément, nos jeunes filles confinées depuis plus de sept mois, la situation économique catastrophique du pays (46% des Philippins ont perdu leur travail en six mois !). Tout est là pour se recroqueviller…

Cependant, en dépit de tout cela, je veux croire qu’est en train de naître une réalité nouvelle, autant humaine que spirituelle. Optimisme ou illusion, je m’attelle à le croire et à garder le moral de mes troupes ainsi.

Alors que nous sommes masqués, que notre force de parole soit dans le refus de céder à ceux qui ne prêchent que la peur et l’affolement !

Alors que les distances sont imposées, que notre créativité renforce le lien, le soutien et l’affection. Depuis mon année en France, une évidence m‘habite et je lui donne plus d’ampleur en ces temps : les personnes âgées sont souvent les victimes de nos sociétés. Cette pandémie vient rajouter son lot d’angoisse et de possible séparation. Avec ici, une pauvreté encore plus saillante et dramatique. Lors de nos allers et venues dans certains marchés, grands-pères et grands-mères abondent assis par terre, mendiant et ne pouvant plus vendre comme autrefois à la multitude de personnes dans les rues aujourd’hui dépeuplées, les sacs en plastique, les quelques légumes ou autres babioles en leur possession. Avec nos équipes, nous avons cherché de trouver des solutions afin de les aider ponctuellement. A Marseille, nos jeunes philippins n’auront pas pu, pour la première fois depuis tant d’années, se joindre à Laurent et l’équipe afin d’aller parler aux jeunes de l’EPM. Eh bien ce sont les jeunes marseillais qui ont été aidés ces dernières années qui ont pris la relève ! L’impact fut tout aussi splendide.

Je vous garde tous dans ma prière et mon affection.

Soeur Sophie de Jésus