Réparateur de brèches

Telle est l’une des appellations de l’Ancien Testament pour tous ceux qui veulent œuvrer à la justice et à la paix. Elle m’est allée droit au cœur tant elle résonne avec notre mission.

Qui dit brèche dit deux côtés laissant béant un espace à réparer, à réunir. Nous ne finirons jamais de plonger plus avant dans le sens de notre vie missionnaire de comprendre la blessure et la manière progressive de réunir ses deux versants. Un concept japonais, Kintsugi, découvert récemment, évoque cela en parlant de l’art de réparer un vase brisé avec une mixture de laque et de poudre d’or. La beauté dans l’imperfection. La brisure des céramiques n’est plus définitive mais se rehausse de beauté de part et d’autre des éclats.

Ces deux viennent resonner de manière toute particulière en ces temps.

Si le cœur de notre mission est de travailler sur les deux bords de la jeunesse en situation de détresse : les jeunes victimes et les jeunes en situation de délinquance ; le cœur de notre écoute nous a amenées à aborder la béance du cœur humain. J’étais il y a quelques temps avec une jeune fille dont l’histoire est un tissage d’abandon, de violences physiques et sexuelles. Elle pleurait, pleurait à chaudes larmes alors qu’elle ouvrait pour la première fois son histoire d’ « enfant battue le matin et violée le soir ». Et cependant, au long de ce temps de partage, elle fut à un moment capable d’énoncer l’impact de ses abus dans sa vie quotidienne : elle-même était devenue violente avec les enfants de son ancien centre. Avec une froideur déconcertante, elle me disait avoir battu une multitude de petites filles de 10 à 12 ans et restait de marbre lorsqu’elles pleuraient… Ses anciennes équipes éducatives ne savaient plus que faire avec elle. Une brèche à deux versants, de larmes et de froideur, qui se perpétue encore et appelle à la réparation.

Réparateur de brèches.

Ecouter une mère, dépendante de drogue et de solvant qui, naviguait entre violences sur les enfants et silence soumis face à son mari abuseur. Il y a quelques années, elle a fait une telle pression sur ses filles afin qu’elles retirent le mandat de dépôt sur un père et un frère, tous deux abuseurs. Voir le versant redoutable de cette mère et poser un regard sur son corps fébrile et maigre, son sourire « à une dent esseulée » et l’entendre me dire : « Sister je n’ai plus rien ». Deux versants d’une même brèche.

Réparateur de brèches.

Puis, venant dans mon cher pays, me mettre à l’écoute de la vie de jeunes français parfois obligés d’habiller leur venue en France d’un mensonge sur leurs racines. « Je suis fils de… » leur a-t-on asséné de dire si besoin était. La réalité est tout autre. Le « de… » est resté au pays ou dans les îles et la séparation est dramatique dans le cœur de l’enfant. Pour la grande majorité des jeunes, ce désir des adultes d’un meilleur avenir pour leur enfant s’est imposé dans le cœur de l’enfant comme une meurtrissure. Leur « être fils » s’est masqué d’un « être fils d’un autre », par exemple le fils d’un oncle ou d’un membre éloigné de la famille… La béance n’est pas à l’extérieur, elle est d’abord intérieure. « Sister je suis resté 3 jours avec ma valise sur le balcon de ma tour pleurant ma maman. Pourquoi sépare-t-on un enfant de 5 ans de sa maman ? ». Béance de ces voyages intérieurs en lesquels se mêlent tant de dilemmes et de paradoxes.

Réparateur de brèches.

Voir les brèches. Accepter de les voir en face. En accepter l’inconfort et la peine.

En comprendre la cause et la source. Puis réparer. Choisir de ne pas rester dans l’inaction mais de repartir sur les chemins des déserts et béances des cœurs humains.

Réparateur de brèches. Soyons le… ensemble ! Mettons de la laque, du professionnalisme, et de la poudre d’or, écoute et patience, entre les pièces de vie d’un cœur.

Sophie de Jésus